L'Orgue du Sultan

L'objet de ce spectacle est de figurer la rencontre extraordinaire entre deux mondes apparemment lointains, qui, contre toute attente et avec le plus grand naturel, s'entendent et partagent tant d'aspects à la fois artistiques et humains.

À la fin du XVIème siècle, l'Angleterre est dans une situation très fragile : menacée par l'Espagne notamment, elle doit trouver des alliés diplomatiques et commerciaux en Europe et parfois au-delà. Elizabeth 1ère tente ainsi de se rapprocher de Mehmet III, le sultan du très puissant Empire ottoman et désire lui offrir le cadeau le plus impressionnant qui soit : un orgue semi-mécanique, orné, paré d'horlogeries, un bijou de technologies nouvelles montrant à la fois l'excellence des artistes et artisans britanniques, mais aussi naturellement l'intérêt tout particulier qu'elle manifeste pour ses relations avec l'Empire ottoman.

Le voyage du jeune facteur d'orgues apportant ce cadeau inouï est donc de la plus haute importance pour l'avenir de la Couronne britannique et on peut aisément imaginer que les dangers que Thomas Dallam peut rencontrer entre Londres et Constantinople sont nombreux, mais celui-ci, à l'inverse de ses confrères qui se montrent farouches et très prudents, est fort curieux et s'intéresse particulièrement aux peuples et aux cultures qu'il croise; étonnamment, Dallam défie les préjugés de son temps et observe, émerveillé, les personnes et les coutumes qu'il aborde.

Cette ouverture de coeur et d'esprit portera ses fruits, car une fois arrivé à Constantinople et l'orgue présenté au Sultan, la garde rapprochée du Sultan semble se prendre d'affection pour le jeune Dallam, lui permettant par exemple d'accéder au Harem et -fait rare- d'en ressortir vivant, le font asseoir sur le trône, lui promettent une épouse, etc...

L'aventure de Thomas Dallam est exceptionnelle à cette époque, mais au-delà de cette mission diplomatique qui semble être un succès, le récit de son expérience laisse entrevoir une dimension bien plus personnelle à ce voyage.

Le concert met en scène deux groupes de musiciens, L'Achéron et l'Ensemble Sultan Veled, chacun représentant l'Angleterre et l'Empire Ottoman. La soprano Amel Brahim-Djelloul personnifie la rencontre des deux cultures en chantant à la fois des airs anglais (John Dowland, William Byrd...) et des airs traditionnels ottomans.

Les points communs entre musiques et instruments élisabéthains et ottomans sont innombrables, ces deux univers étrangement proches : les timbres se marient à merveille, les ornements sont semblables, les modes occidentaux s'inscrivent dans les makams et les rythmiques orientales trouvent écho dans la complexité du contrepoint polyphonique.

Si chacune des musiques est exécutée dans son style propre, elle est aussi attirée et mêlée à celui de son interlocuteur : la musique élisabéthaine prend des couleurs orientales, le ney joue le rôle d'une flûte, le oud celui d'un luth ; et l'inverse se produit naturellement, le virginal se mêlant au qanun, la viole de gambe répondant au kemencé. Les musiciens ottomans prennent part à la polyphonie anglaise, ils adaptent des mélodies élisabéthaines au mélisme oriental, les musiciens anglais répondent aux taksim de leurs confrères par des improvisations et des diminutions, ils harmonisent des mélodies ottomanes, etc.

Au final, cette rencontre fait perdre pied au spectateur : l'origine des musiques devient même parfois méconnaissable, même si chacune reste fidèle à elle-même. Les identités ne sont en aucun cas brimées mais au contraire sublimées, leurs essences se mêlant, et sur cette terre d'entente, une musique inouïe voit le jour. 

 

Durée du spectacle : 1h30 env. (sans  entracte)

 

Patricia Wilenski

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