Les Chef(fe)s d'orchestre Stéphanie-Marie Degand et Camille Delaforge rejoignent RSB artists

Interview croisée

 

Nous sommes très heureux d'annoncer deux nouvelles collaborations, avec les chef-fe-s d'orchestre Stéphanie-Marie Degand et Camille Delaforge.

Partons à leur rencontre au travers d'une interview croisée, réalisée par Sévag Tachdjian :

 

  • Qu'est-ce qui vous a donné envie de devenir cheffe et quelles ont été vos sources d'inspiration ou modèles en la matière ?

Camille Delaforge (CD) : Enfant, je copiais à la main les livrets et les traductions des opéras que j’aimais pour en connaître les textes par cœur, puis je prenais le conducteur pour suivre la musique - autant dire que cette envie est ancrée en moi depuis longtemps ! J’ai toujours aimé appréhender une œuvre d'art de manière à la fois globale et précise. Par chance, j’ai une mémoire qui me permet de retenir très rapidement ce que je vois, et me permets d'avoir la vision globale d'une partition.

Stéphanie-Marie Degand (SMD) : J'ai eu très jeune envie de devenir chef parce que mon professeur de violon, Jean-Walter Audoli, était également un très bon chef d'orchestre. Pour moi, c'était évident que j'allais devenir violoniste, puis chef d'orchestre. 

En tant que femmes, il est vrai qu'on manque de modèles en la matière, mais j'ai eu la chance d'avoir pour professeur d'harmonie Emmanuelle Haïm, dont j'ai été le violon solo à la création de son orchestre. La voir devenir chef d'orchestre m'a montré l'exemple et ouvert la voie : je l'ai vue imposer ce modèle qui n'était pas un modèle de chef "traditionnel", c'est-à-dire masculin. Et ça a été une véritable source d'inspiration quand J’ai décidé d’élargir mon horizon d’interprète en me tournant vers la direction.

CD : La question des modèles est toujours difficile. Il est évidement intéressant pour un jeune artiste de se confronter à eux sans pour autant chercher à les copier. Alors en toute simplicité, je dirais que mes modèles sont simplement les créateurs (chefs, metteurs en scène, chorégraphes, musiciens) que j’ai pu rencontrer au cours de divers projets.

 

  • Quel est votre répertoire de prédilection actuel et comment le voyez-vous évoluer dans les années à venir ?

CD : Pour l’instant mon répertoire est orienté vers la musique vocale, française et italienne des XVIIe et XVIIIe siècles. C’est déjà très vaste, mais j’avoue ne pas avoir envie de me spécialiser. Mon rêve est autant de diriger un opéra de Monteverdi que La Flûte Enchantée de Mozart. Par mon parcours assez riche, j’ai pu étudier le piano, le pianoforte, le clavecin, et je prends plaisir à jouer toutes les époques sur mes claviers, j’imagine pouvoir en faire de même à la direction - même si je dois avouer avoir un certain penchant pour le répertoire vocal et lyrique.  

SMD : En tant que violoniste, je joue toutes les musiques, mais par mon parcours, je me sens plus spécialisée dans la musique française et la musique de l'époque classique, pour lesquelles je pense avoir beaucoup de clés d'interprétation, avec la question centrale des instruments anciens et modernes. Si on me demandait où je me sens à ma place, où je me sens utile, je dirais le répertoire français d'une part, et le répertoire allemand allant de Mozart (la Messe en ut !) à Brahms (sa Deuxième Symphonie). Un de mes grands rêves serait de diriger le château de Barbe bleue de Bartok.

 

  • Vous avez toutes les deux créé votre ensemble. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a guidé dans cette démarche et quels sont vos projets ?

SMD : J'avais envie de choisir mes partenaires, de jouer le répertoire qui me plaisait, et de ne pas attendre qu'on me propose les choses. Par ailleurs, lorsque j'étais violoniste, j'ai profité de la transmission directe de la part d'Emmanuelle Haïm, Christophe Rousset ou encore William Christie, qui m'a fait progresser très vite. C'est ce modèle que j'ai voulu reproduire en donnant une dimension pédagogique à mon ensemble : les plus talentueux instrumentistes des CNSM viennent jouer un temps avec un noyau fixe. Pour les "anciens", c'est une manière de rester en contact avec la passion première de ces jeunes musiciens, et pour ces derniers, c'est une immersion dans le monde professionnel et la valorisation par la confiance qui leur est faite.

CD : En tant qu’artiste, de nombreuses rencontres nous guident dans notre vie et nous amènent à se découvrir soi-même, et à découvrir nos envies les plus profondes. En tant que claveciniste, j’ai rencontré de nombreux chefs pour lesquels j’ai toujours essayé d’utiliser mon savoir-faire au service de leur vision de l’art. Cela m’a permis de connaître mes envies et de les affirmer au fur et à mesure de mes expériences en tant que claveciniste ou d'assistante. Fonder Il Caravaggio a été pour moi la réalisation de toute cette expérience accumulée. Par ailleurs, diriger, c’est être le garant de la communication entre toutes les instances d’un projet pour que celui-ci aboutisse en harmonie. C'est ce qui me passionne !

SMD : Effectivement, l'idée à laquelle je n'ai pas envie de renoncer, c'est que le centre de ce projet reste la musique ! Je préfère fédérer plutôt que dominer : je crois en le leadership, non pas par l'autorité mais plutôt par la compétence.

 

  • Et pour finir : chef ou cheffe ?

CD : Chef !... ou cheffe... peu importe en fait ! Chacun a sa part de féminité et de masculinité en lui. Être un "chef" ne m’empêchera jamais d’être une femme et de l’assumer. Je ne sais quel est le discours le plus féministe, mais je n’ai aucun complexe face à un orchestre à être une femme, et j’essaie toujours que cela ne change rien non plus pour les artistes que j’ai en face de moi. C’est une originalité de notre époque et c’est bien dommage, mais je n’ai pas envie d’en faire moi-même une originalité, bien des exemples nous montre que diriger n’est pas une affaire de genre mais une affaire d’humanité et de compétences personnelles. Et puis... comme le montre le projet que je suis en train de construire avec Il Caravaggio, on dirige en tant que femme, depuis le clavecin et la fosse depuis 1736. 

SMD : Avant j'aurais dit "cheffe", mais l'expérience (et l'étymologie) me font désormais plutôt pencher pour "chef" : la chef, c'est le sommet, c'est la tête. Alors pourquoi pas "une tête d'orchestre", ce serait amusant, non ? La "femme chef d'orchestre", en revanche, j'y suis opposée parce que cela stigmatise. 

Ou bien à la rigueur, maestra...

 

Interview réalisée par Sévag Tachdjian en novembre 2019

Photos - SMD : © VM /  François Sechet - CD : © Charles Plumey / Victoria Duhamel

 

 

--> En savoir plus sur Stéphanie-Marie Degand : www.rsbartists.com/fr/artists/stephanie-marie-degand/

--> En savoir plus sur Camille Delaforge : www.rsbartists.com/fr/artists/camille-delaforge/